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Incidence de la leucémie de l'enfant autour de l'usine de retraitement de La Hague : suivi des années 1978 à 1998.

The incidence of chilhood leukaemia around the La Hague nuclear waste reprocessing plant (France) : a survey for the years 1978-1998. Guizard A-V, Boutou O, Pottier D, Troussard X, Pheby D, Launoy G, Slama R, Spira A et ARKM. J. Epidemiol. Community Health, 2001, 55, 469-474.

Cette étude s'est intéressée à l'incidence de la leucémie chez les jeunes de moins de 25 ans vivant au voisinage de l'usine de retraitement de La Hague, pendant une période de 20 ans (de 1978 à 1998). Elle avait pour objectif de compléter l'étude publiée par J.F. Viel en 1995, réalisée sur la période 1978-1992, qui suggérait une augmentation possible des leucémies chez les enfants vivant à proximité de La Hague.

Il s'agit d'une étude rétrospective où les cas de leucémies ont été recherchés, principalement par l'envoi de questionnaires aux médecins traitants de la région, mais aussi dans les dossiers hospitaliers, consultation des certificats de décès et depuis 1994 grâce au Registre du cancer de la Manche. Le nombre de cas de leucémies observés a été comparé au nombre de cas attendus, calculé à partir de plusieurs registres régionaux français de cancer, permettant d'obtenir un taux standardisé d'incidence (SIR). L'incidence standardisée de la leucémie dans la tranche d'âge 0-24 ans est de 3,42 pour 100 000 personnes-années (PA) chez les garçons et de 2,59 pour 100 000 PA chez les filles. La population étudiée est celle des jeunes de 0 à 24 ans vivant dans un rayon de 35 km autour de La Hague, correspondant à 1 287 566 PA dans le Nord Cotentin et 11 300 PA dans l'île d'Aurigny, petite île du Royaume-Uni située à 15 km de La Hague. Les résultats sont analysés dans leur globalité, mais également pour 4 tranches d'âge et 3 zones géographiques selon la proximité au site de La Hague.

Au total, 38 cas de leucémies ont été observés, correspondant aux chiffres attendus, avec un SIR de 1,03 (intervalle de confiance à 95%: 0,73 - 1,41). Aucun cas n'a été recensé dans l'île d'Aurigny. En revanche, 5 cas sont survenus dans le canton de Beaumont-Hague (rayon de 10 km) avec un SIR à 2,17, élevé mais non statistiquement significatif (IC 95% : 0,71 - 5,07). L'excès devient significatif dans cette zone pour la tranche d'âge 5-9 ans : 3 cas, SIR à 6,38 (IC 95% : 1,32 - 18,65) ; ces 3 enfants de 5 et 6 ans étaient tous porteurs de la variété de leucémie la plus fréquente chez l'enfant, la leucémie aiguë lymphoblastique.

Les auteurs discutent de facteurs possibles d'erreur dans leur étude :

Le recensement des leucémies est étroitement lié à la coopération des médecins généralistes dont le taux de réponse au questionnaire a été plus élevé dans la zone des 0-10 km (83%) et 10-20 km (87%) que dans le zone des 20-35 km (77%) où le taux plus faible de réponses pourrait entraîner une sous-évaluation des cas.
Les valeurs attendues de leucémies proviennent de registres départementaux couvrant une population de petite taille. Si on utilisait comme référence pour cette étude des Registres pédiatriques où les valeurs attendues de leucémies sont plus élevées, le SIR pour les enfants de 5 à 9 ans de la zone Beaumont-Hague serait moins élevé, à 4,62 (IC 95% : 0,95 - 13,49).
L'évaluation de la taille de la population est sujette à erreurs en raison des flux migratoires importants de population arrivant ou quittant la région pendant la période étudiée.
L'impossibilité d'étendre la période d'étude avant 1978 où il n'est pas possible d'étudier l'incidence des leucémies de l'enfant. Des études de mortalité n'ont pas montré d'augmentation de leucémie de 1968 à 1978.
La multiplicité des analyses statistiques réalisées fait que l'on ne peut éliminer que l'une d'elles soit positive uniquement du fait du hasard.

 

Plusieurs causes qui pourraient expliquer une augmentation de leucémies de jeunes enfants à proximité de sites nucléaires sont évoquées :

L'irradiation des pères avant la conception est rejetée car plusieurs études ont réfuté cette hypothèse soulevée par Gardner pour les enfants de Sellafield.
Le rôle de l'irradiation environnementale paraît peu vraisemblable suite aux études très complètes réalisées dans le Nord Cotentin
Certaines maladies peuvent prédisposer à la leucémie, telle la trisomie 21, dont 3 des 38 cas étudiés étaient atteints ; mais aucune autre maladie prédisposante n'a été mise en évidence.
L'hypothèse la plus attrayante est celle de Kinlen attribuant des excès de leucémies de jeunes enfants (essentiellement des leucémies aiguës lymphoblastiques) à des mouvements importants de population, comme cela a été suggéré pour certains clusters de leucémies au Royaume Uni, autour de sites nucléaires ou autres grands chantiers industriels. Une étude est en cours pour rechercher une relation entre de tels mouvements de population dans le Nord Cotentin.

Tableau : Nombre de cas de leucémies de l'enfant (O) de 1978 à 1998 dans la région de La Hague

 

0-4 ans

5-9 ans

10-14 ans

15-24 ans

Total 0-24 ans

Zones géographiques

O

SIR

O

SIR

O

SIR

O

SIR

O

SIR

0-10 km

1

1,20

3

6,38*

0

0

1

1,61

5

2,17

10-20 km

4

0,52

3

0,78

5

1,62

5

0,84

17

0,83

20-35 km

6

1,27

3

1,11

2

0,83

5

1,17

16

1,13

Total 0-35 km

11

0,83

9

1,28

7

1,19

11

1,02

38

1,03

10-25 km (incluant Aurigny)

4

0,51

3

0,77

5

1,59

5

0,83

17

0,81

*seul le SIR pour la tranche 0-9 ans dans un rayon de 10 km du site de La Hague est augmenté de façon statistiquement significative, avec un intervalle de confiance à 95 % compris entre 1,32 et 18,65