L'accident de Tchernobyl
Le Dossier 15 ANS Après

GR21

  mai 2001
Groupe de Réflexion Énergie  
Environnement au 21ème siècle                                                                                                                       

Première partie : l'accident et sa gestion technique

 

1.1. Le site et le réacteur

L'accident est advenu, lors d'un essai de sécurité mal conduit, sur la tranche la plus récente du complexe électronucléaire de Tchernobyl situé à une centaine de kilomètres au nord de Kiev, capitale de l'Ukraine (2,6 millions d'habitants), et à une vingtaine de kilomètres au sud de la frontière biélorusse. Le complexe comportait quatre réacteurs du type RBMK en fonctionnement et deux en construction. Le refroidissement des réacteurs était assuré par l'eau d'un lac artificiel construit sur la rivière Pripiat, affluent du Dniepr.

La vieille ville de Tchernobyl (12 500 habitants) se trouve à une quinzaine de kilomètres au sud-est de la centrale et une ville nouvelle (Pripiat) de 50 000 habitants avait été construite à sa proximité (à 3 km) pour accueillir les personnels d'exploitation et leurs familles. Le pays, boisé, avait une faible densité de population (115 000 à 135 000 habitants au total dans un rayon de 30 km).

Les réacteurs du type RBMK ont été développés pour permettre une production simultanée d'électricité et de plutonium de qualité militaire. Certaines caractéristiques techniques en découlent, notamment l'existence de tubes de force permettant le déchargement du combustible, réacteur en marche, ce qui permet d'ajuster le taux d'irradiation de ce dernier à la valeur désirée. Cette technique permet aussi de réaliser des unités de grande puissance sans avoir à forger et à transporter de grosses cuves, opérations délicates. Ces réacteurs n'ont jamais été exportés hors de l'URSS et étaient donc mal connus du monde occidental. Le premier de ce type a été construit à Obninsk en 1954 et le premier 1000 MW a été couplé en 1973 à la centrale de Leningrad.

Une des particularités de ces réacteurs est d'avoir un "coefficient de vide positif", c'est à dire que, si la proportion de vapeur s'accroît pour une raison ou une autre (crise d'ébullition locale ou globale par baisse de pression, cavitation des pompes, augmentation de température), la réactivité du cœur augmente. A forte puissance, ce phénomène est plus que compensé par le coefficient de température négatif du combustible, mais à basse puissance, le réacteur peut souffrir d'une réactivité instable.

L'encadré ci-après résume ses principales caractéristiques techniques.

Le réacteur n°4 de Tchernobyl, d'une puissance nominale de 3200 MWth (1000 MWe), en service depuis décembre 1983 avec un excellent facteur de charge était formé d'un empilement de graphite (modérateur) de 12 m de diamètre et 8 m de hauteur, traversé par 1660 tubes de force verticaux de 7 m de hauteur contenant le combustible (en tout 190 tonnes d'uranium enrichi à 2% sous forme d'oxyde) et 211 canaux pour barres de contrôle. Le combustible était refroidi par une circulation d'eau sous pression (liquide à 270° sous 82 bars à l'entrée des tubes de force, puis bouillante à 285°C sous 70 bars) tandis que l'empilement était refroidi par un mélange d'azote et d'hélium. La vapeur produite faisait fonctionner deux turboalternateurs de 500 MWe.

revenir en haut de la page

  1.2. Le scenario de l'accident

Avant d'arrêter la tranche 4 de la centrale pour une période normale de maintenance, l'exploitant avait prévu d'effectuer dans l'après-midi du vendredi 25 avril, un essai déjà réalisé sur d'autres réacteurs RBMK, ayant pour but de vérifier qu'en cas de perte du réseau électrique extérieur, les systèmes de sauvegarde (pompes de circulation, barres de contrôle, alimentation des sectionnements, contrôle commande) pouvaient être alimentés par le turboalternateur en attendant la reprise en secours par les diésels. Les essais réalisés précédemment avaient montré que le système de régulation de l'excitatrice devait être ajusté si l'on voulait maintenir une intensité acceptable le temps voulu pendant le ralentissement du groupe turboalternateur.

Plusieurs péripéties ont conduit à retarder cet essai. A la demande du répartiteur d'énergie de Kiev, la baisse programmée de puissance entamée le 25 avril à 1h06 du matin, a été interrompue à 14h, et le réacteur est resté alors à mi-puissance sur un seul turboalternateur durant neuf heures, ce qui a entraîné un empoisonnement Xénon du cœur, avec une distribution "à deux bosses" du flux axial des neutrons, très déprimée au centre, et très défavorable au plan de la stabilité cinétique. La réduction volontaire de puissance a repris à 23h10 jusqu'à ce que la valeur de 500 MWth soit atteinte le samedi 26 à 0h28. La puissance s'est ensuite effondrée (puissance neutronique nulle, puissance thermique 30 MW) lors du basculement, mal synchronisé par les opérateurs, du système automatique local de commande des barres au système global. Il en est résulté un empoisonnement Xénon accru. Or pour réaliser l'essai il fallait retrouver de la puissance et les opérateurs ont dû extraire presque toutes les barres de contrôle.

A partir de ce moment (0h30) toute utilisation de l'arrêt d'urgence conduisait inéluctablement à l'endommagement du combustible, du fait de la mauvaise conception des barres de contrôle et sécurité : chacune d'elles était en effet munie d'un prolongateurs en graphite de 4.5 m de longueur suspendu à l'absorbant par une tige de 1.4 m qui, dès lors qu'elle était complètement extraite, repoussait en tombant une colonne d'eau de 1m de hauteur hors du cœur, augmentant ainsi la réactivité locale. Parallèlement, les conditions thermodynamiques de l'eau ont été modifiées en mettant en service à 1h06 les huit pompes de circulation à fort débit en vue de refroidir le cœur pendant l'essai ; la marge de sous-refroidissement devenait très faible (3°C) et dès lors, toute augmentation de température ou toute diminution de débit entraînait l'ébullition en masse de l'eau située à l'entrée basse du réacteur, augmentant encore la réactivité.

A 1h23mn04s, les paramètres du réacteur étant stabilisés, l’essai prévu est engagé par la fermeture de la vanne d’admission de la vapeur de la turbine ; le ralentissement du turboalternateur entraîne le ralentissement de 4 des 8 pompes de circulation (les quatre autres étant reliées au réseau).

L'accident a été déclenché à 1h23mn40s quand l'opérateur a appuyé sur le bouton d'arrêt d'urgence : l'insertion des barres, dont la chute était lente (20 secondes!) a entraîné une augmentation de la réactivité locale en partie basse du réacteur et l'énergie déposée dans une partie des combustibles a conduit à leur rupture brutale et à celle de quelques canaux. L'ébullition en masse de l'eau a ensuite engendré le passage du réacteur en situation de prompte criticité et la puissance a pu atteindre en quelques secondes cent fois la valeur nominale, soit 300 000MWth!

La reconstitution précise des phénomènes physiques et chimico-physiques qui sont intervenus est très difficile : interaction de l'oxyde d'uranium avec l'eau, provoquant la rupture des tubes de force, déflagration de l'hydrogène produit lors de la décomposition de l'eau par les structures métalliques portées à très haute température, soulèvement de la dalle supérieure portant les mécanismes de barres etc… 

Les exploitants perçurent deux explosions successives, la seconde plus forte que la première, qui firent se soulever de 14 m la dalle supérieure du cœur (450 t) et conduisirent à la destruction des superstructures du bâtiment. Du combustible, des composants du cœur et des structures furent projetés sur le toit des bâtiments adjacents et sur le sol, entraînant un relâchement massif de produits radioactifs dans l'environnement. Les débris du cœur déclenchèrent une trentaine d'incendies sur les toits avoisinants (hall des machines et ce qui restait du bâtiment réacteur) et par des passages de câble menacèrent le réacteur n°3.

revenir en haut de la page
  1.3. Les diverses causes de l'accident

C'est en août 1986, à Vienne, dans le cadre d'une réunion spécialement organisée par l'Agence Internationale de l' Energie Atomique (AIEA) que le délégué soviétique, Valery Legassov donna les premières informations sur l'accident. Il incrimina essentiellement des erreurs graves d'exploitation :

le non-respect des conditions de fonctionnement prévues pour le jour précédent

le viol des consignes de sécurité et la mise hors service de certaines sécurités automatiques.

Il souligna (à tort) que l'accident ne serait pas advenu si une seule de ces multiples défaillances n'avait pas eu lieu. Le directeur de la centrale et l'ingénieur en chef présent en salle de commande furent jugés coupables et condamnés à des peines d'emprisonnement.

Mais, en 1991, le rapport d'une commission du Comité d'Etat chargé de la sûreté nucléaire de l'URSS (CECSIN), présidé par Steinberg reconnaît les défauts de conception des RBMK :

- l'existence de plages d'instabilité à basse puissance,

les vices de conception des barres de contrôle : leur temps de chute excessif (20 s contre 2 s dans les Réacteurs à Eau Pressurisée du monde occidental) et la présence de prolongateurs pouvant augmenter la réactivité du cœur au début de leur chute lorsqu'elles sont en position haute.

Volkov, de l'Institut Kurchatov, réhabilitera les exploitants en écrivant notamment : "L'ampleur de l'accident n'a donc pas été déterminé par des actions du personnel, mais par l'ignorance, principalement de la part des cadres scientifiques, de l'effet du titre en vapeur sur la réactivité du cœur des RBMK. Cette ignorance a conduit à mal analyser la sûreté de fonctionnement, à négliger les apparitions répétées de l'important effet des vides sur la réactivité pendant l'exploitation, à accorder une confiance abusive à l'efficacité du système d'injection de secours qui, en fait, n'a pu faire face ni à l'accident de Tchernobyl, ni à de nombreuses autres situations, et à formuler naturellement des procédures incorrectes.

Cette insuffisance du niveau scientifique s'explique surtout par les raisons suivantes :

- le très petit nombre des études de physique neutronique des réacteurs RBMK,

- le fait d'avoir négligé les écarts dans les résultats obtenus par différentes méthodes,

-l'absence d'études expérimentales dans des conditions proches des conditions naturelles.

Pendant longtemps le Ministère de l'Energie de l'URSS a exploité les RBMK avec des instabilités neutroniques sans prêter attention aux signaux inhabituels et répétés des systèmes de sûreté liés au niveau de puissance..…et n'a pas exigé d'enquêtes approfondies sur les situations d'urgence.

Nous sommes forcés de conclure qu'un accident du genre de celui de Tchernobyl était inévitable.

L'absence d'enceinte de confinement résistante (contrairement aux REP français) est aussi mise en avant dans les pays de l'OCDE. Mais aurait-on pu en concevoir une capable de résister à un tel accident, spécifique des RBMK ?.

Plus évidente est l'absence de culture de sûreté dans le "système soviétique" qui prévalait alors :

- plusieurs incidents précurseurs étaient survenus, dont le premier sur le réacteur RBMK de Leningrad, mais ils étaient restés confidentiels et aucun enseignement n'en avait encore été tiré.

- cet essai risqué n'avait fait l'objet d'aucune analyse préalable de sûreté par une structure indépendante.

- l'exploitant n'était pas conscient des risques qu'il encourait du fait de l'instabilité potentielle du réacteur.

- l'effet positif des barres de contrôle avait été mesuré en 1983 sur le RBMK d'Ignalina et lors des essais de démarrage de Tchernobyl 4, une modification de leur conception était envisagée par les équipes moscovites, mais les exploitants n'avaient pas été alertés.

revenir en haut de la page

  1.4. Premières interventions

Divers groupes de pompiers se dévouèrent pour tenter de maîtriser les divers incendies déclenchés, dans un environnement enfumé hautement radioactif : 14 pompiers entrèrent en action 4 minutes après l'accident, et 250 deux heures et demie plus tard. Une heure après, à 4h50 du matin, la plupart des feux étaient éteints. C'est durant cette première séquence que des doses mortelles d'irradiation furent subies par des intervenants.

Malgré la considérable quantité d'eau apportée (qui produisit beaucoup de vapeur), le feu reprit 20 heures après l'explosion à partir des gaz formés par l'action de la vapeur sur le graphite (présent en grande quantité dans ce type de réacteur) et sur le zirconium des gaines (CO et H2) avec une flamme de 50 m de hauteur projetant des matières radioactives jusqu'à une altitude de 1 500m, ce qui facilitait sa lointaine migration.

Les premières mesures prises pour contrer la combustion du coeur, empêcher tout risque de criticité et diminuer les relâchements d'éléments radioactifs ont consisté à jeter par hélicoptère (1 800 vols) des matériaux absorbants les neutrons (produits contenant du bore) et des produits lourds (plomb, sable, argile) : 5 000 t de matériaux furent ainsi jetés, un peu au hasard du fait de la mauvaise visibilité et du très fort niveau d'irradiation interdisant une approche fine en direction de la cavité ou sur les toits en flamme. Ce mauvais largage a peut-être contribué à la reprise du feu et des relâchements qui ne cessèrent, abruptement, que le 7 mai, probablement à la suite de l'injection d'azote liquide dans les parties basses du réacteur. Les produits de fission et le combustible se transformèrent en composés stables chimiquement (on peut alors parler de "corium", ou de "lave"). Leur distribution entre les soubassements et les parties hautes du réacteur n'est que grossièrement connue (Figure 1) : Coupe du bâtiment réacteur endommagé). Ces versements de matériaux furent d'autant plus interrompus que, sous leur charge, on craignait l'effondrement des structures. Un tunnel creusé durant quinze jours à partir de la tranche 3 menacée par le sinistre a permis également d'installer une dalle de béton capable de protéger les eaux souterraines des matières radioactives fondues.

revenir en haut de la page

 1.5. Les mesures d'assainissement radioactif

Diverses mesures ont été prises en urgence pour protéger les nappes phréatiques et réduire les risques de contamination du Dniepr et du lac alimentant en eau la ville de Kiev.

Devant l'ampleur de la tâche et la nécessité de limiter autant que possible les doses individuelles, l'Etat soviétique a fait appel à un très grand nombre de personnels, militaires (240 000 environ) ou civils (certains ayant l'expérience de travaux sous rayonnement), en provenance de toute l'URSS et travaillant à tour de rôle. Toute personne ayant œuvré sur le site recevra plus tard un certificat attestant son statut de "liquidateur", donnant droit à certains avantages. Leur nombre total déclaré est d'environ 600 000. Les liquidateurs furent chargés de travaux de décontamination du site et des routes, de l'entreposage de déchets, de la construction de barrages, de la réalisation de nouveaux logements pour le personnel d'exploitation (les trois autres tranches restant en fonctionnement) dont les familles furent relogées à 50 km de là, dans la ville nouvelle de Slavutich. Mais leur principale tâche fut la construction du sarcophage.

Cet édifice de 300 000 t, construit de mai à novembre 1986 autour du réacteur accidenté, avait pour but :

- d'empêcher que la radioactivité présente dans les "laves" et les structures restantes du réacteur ne se disperse dans l'environnement,

- de limiter l'entrée d'eau de pluie susceptible de contaminer le sol,

- de permettre de poursuivre l'exploitation du réacteur n° 3, mitoyen du réacteur accidenté, qui partageait des installations communes comme le hall des turbines et le bâtiment des auxiliaires.

Le sarcophage a été constitué de poutres et de grandes plaques métalliques qui, du fait des débits de dose très élevés, n'ont pu être posées qu'à l'aide de grues, sans possibilité d'assurer de manière précise leur jointure et leur fixation. La surface cumulée des ouvertures était de l'ordre de 1000m2 (ce qui permettait un refroidissement des structures par circulation d'air). Ces espaces ont pu être réduits de moitié à la suite des travaux de 1995-1997.

revenir en haut de la page 

1.6. L'assistance technique et financiere internationale

1.6.1. Aspects politiques et financiers

Les événements politiques intervenus dans les années qui ont suivi l'accident ont incité les pays occidentaux à proposer leur aide technique et financière pour diminuer les risques de nouvelles contaminations, d'autant plus que les liens entre Moscou et Kiev se distendaient. Le protocole d'accord signé le 20/12/1995 par l'Ukraine, les pays du G7 et la Commission Européenne inscrit la fermeture de Tchernobyl dans le contexte de la réforme du secteur énergétique ukrainien. Il repose sur un engagement mutuel : l'Ukraine ferme Tchernobyl fin 2000 et les Occidentaux apportent leur aide pour définir et financer les besoins électriques du pays, pour renforcer la sûreté nucléaire et pour répondre aux problèmes sociaux posés par la fermeture de la centrale qui emploie près de 6 000 personnes.

L'application de ces principes conduisait alors à une évaluation financière de $ 2.3 milliards, dont 1,8 au titre de prêts de la Banque Mondiale et de la BERD, et 0.5 au titre de dons du G7 et de l'Union Européenne. Aujourd'hui 1,4 milliards ont été investis dont 1,05 en dons (60% proviennent des pays de l'Union Européenne et de la Commission Européenne) : ils ont principalement servi à des travaux sur la tranche 3 lorsqu'elle était encore en fonctionnement, à ceux nécessités par sa mise à l'arrêt, effectivement réalisée le 15/12/2000 (avec la construction d'une installation de conditionnement/ entreposage des combustibles usés, d'ateliers de traitement des déchets d'exploitation), enfin au projet SIP de renforcement du sarcophage (voir 1.6.2).

D'autres projets seront lancés pour accroître l'efficacité de la gestion du marché de l'électricité, moderniser le parc thermique classique et achever la construction des deux réacteurs VVER 1000 de Rovno 4 et Khmelnitsky 2 selon des normes acceptables par la communauté internationale.

La Commission Européenne a proposé notamment de poursuivre son aide dans le cadre de son programme TACIS , d'amélioration de la sûreté en exploitation, de renforcement des organismes de sûreté, de recherche d'autres sources d'énergie à long terme et de définition des projets concernant le sarcophage (une nouvelle somme de 100 millions d'euros serait allouée à l'étude et réalisation de ces projets).

Par ailleurs, en avril 1996, les ministres français et allemand de l'environnement ont annoncé une initiative de collaboration avec l'Ukraine, la Biélorussie et la Russie sur trois sujets : sûreté du sarcophage, impact de l'accident sur l'environnement, santé des populations. En juillet 1997, la France, l'Allemagne et l'Ukraine ont formalisé cette initiative par la signature d'un accord entre l'IPSN, son homologue allemand GRS et le Centre de Tchernobyl créé en 1996. Cette initiative est financée par les deux gouvernements et les électriciens EDF et VdEW (budget de 6 millions d'euros). La référence (5) détaille son programme d'actions.

revenir en haut de la page

  1.6.2. Le projet SIP (Shelter Implementation Plan)

On estime aujourd'hui que le sarcophage contient 5 000 m3 d'eau de pluie dans ses soubassements. La précarité de la construction a conduit à évaluer l'impact potentiel d'un effondrement de la toiture. C'est ainsi qu'à son voisinage, et par vent faible (hypothèse pessimiste), les doses dues à l'inhalation pendant le passage du panache radioactif qui en résulterait pourraient être importantes pour les travailleurs du site. Au delà de 10 km, la dose deviendrait inférieure à la dose maximum admise pour les travailleurs (50 mSv) et, à l'extérieur de la zone d'exclusion de 30 km, l'inhalation ne constituerait plus un risque significatif pour le public.

Outre l'effondrement du sarcophage, deux autres risques ont été identifiés :

- un risque de criticité entre le combustible solidifié et l'eau (risque jugé très improbable),

- un risque de remise en suspension dans l'atmosphère d'aérosols radioactifs provenant de la décomposition superficielle des laves. Pour l'empêcher, une solution permettant de fixer les poussières est pulvérisée périodiquement.

Le projet SIP, d'une durée de huit ans, lancé en 1998 par un groupe d'experts du G7, est financé par les pays occidentaux à hauteur de $760 millions dont 50 à la charge de l'Ukraine. Il a pour but de stabiliser le sarcophage et mettre en place des mesures de protection des travailleurs et de l'environnement. La réalisation de ce projet est assurée par une entité dépendant de la centrale de Tchernobyl, assistée d'une structure de projet rassemblant les sociétés américaines Bechtel et Battelle ainsi qu'EDF, structure qui doit définir le programme des tâches élémentaires permettant d'atteindre les objectifs du projet SIP et de solliciter les autorisations de l'autorité de sûreté ukrainienne. La première étape (état des lieux) d'une durée de deux ans est achevée. Les sociétés françaises Technicatome et SGN sont chacune leader d'un groupe d'entreprises chargées de diverses tâches (sûreté, radioprotection, assainissement, etc..).

De plus, un travail de compilation et de synthèse très important a été engagé dans le cadre de "l'initiative franco-allemande pour Tchernobyl" en collaboration avec des organismes russes et ukrainiens, afin d'élaborer une base de données sur l'état et la sûreté du sarcophage qui permettra d'améliorer l'estimation des risques radiologiques à l'intérieur et aux abords du bâtiment et de valider les mesures de protection actuelles.

revenir en haut de la page

 1.7. Les enseignements tirés de l'accident

En URSS (Russie, Ukraine, Lituanie), des modifications ont été apportées aux autres réacteurs RBMK en fonctionnement (13 en tout au 1/01/2001) : elles ont porté sur les caractéristiques du combustible (enrichissement plus élevé pour diminuer "l'effet de vide"), sur le dessin des barres de contrôle et sur la protection de la dalle supérieure contre les accidents de surpression. Une meilleure organisation de la sûreté, lentement mise en place, et la prise de conscience des risques concourent en outre à un meilleur niveau global de sûreté, sans que soit atteint cependant le standard occidental. Ailleurs, on comprit assez vite que cet accident n'était pas seulement "soviétique" et que les pays de l'OCDE pouvaient aussi en tirer des enseignements utiles. Citons quelques conséquences directes ou indirectes :

Sur la conception des réacteurs en France :

- une recherche exhaustive de toutes les possibilités de réalisation d'un accident de réactivité dans tous les réacteurs fut engagée, permettant d'identifier dans les REP une séquence potentiellement dangereuse, réacteur à l'arrêt (des contre-mesures ont été prises),

- une originalité des REP français consiste en l'installation de "filtres à sable" permettant, en cas d'accident conduisant à une surpression excessive de l'enceinte, de relâcher progressivement une partie des gaz qui y seraient contenus en retenant 99% des iodes et césiums. Ce système, conçu à la suite de l'accident de TMI (mais qui suppose l'intégrité de l'enceinte), trouve là une nouvelle justification,

- pour la prochaine génération de REP (projet franco-allemand EPR, projets américains), on prévoit des dispositions nouvelles destinées à assurer le refroidissement d'un cœur fondu et à garantir l'intégrité à long terme de l'enceinte de confinement.

Sur l'exploitation des réacteurs et les conditions de leur autorisation :

- on prit partout conscience qu'un accident n'importe où dans le monde pouvait avoir des répercussions désastreuses pour les programmes en cours ou à venir. La nécessaire solidarité entre les exploitants s'est concrétisée par la création, en mai 1989 et à leur initiative, d'une association internationale : WANO (World Association of Nuclear Operators). Toutes les sociétés concernées en font partie, mettant en commun leur expérience. On lui doit l'installation un peu partout de simulateurs et le développement général de la culture de sûreté,

- l'association WENRA (Western Europe Nuclear Regulators Association) des autorités de sûreté de nombreux pays d'Europe occidentale, créée en début 1999 a instauré un dialogue permanent avec les autorités de sûreté des pays de l'Est.

Sur la communication :

en France, le Conseil Supérieur de la Sécurité Nucléaire a été transformé en Conseil Supérieur de la Sécurité et de l'Information Nucléaire (CSSIN) accueillant des spécialistes de la communication pour accroître la qualité de l'information et la transparence. Sur la suggestion de l'un de ses membres, son vice-président, le journaliste Pierre Desgraupes, a décidé la création d'une échelle de gravité nationale des événements significatifs pour la sûreté, permettant aux médias de mieux percevoir l'ampleur des risques associés. Cette échelle, légèrement modifiée, a été adoptée internationalement (échelle INES). Elle comporte sept degrés, Tchernobyl se plaçant au niveau 7. A partir du niveau 1 (simple anomalie d'exploitation) tout incident fait l'objet d'une information internationale,

des accords de notification rapide, d'un pays à un autre, d'un accident nucléaire, et d'assistance en cas de situation d'urgence radiologique ont trouvé leur expression dans des conventions internationales conclues dans le cadre de l'AIEA et de l'Union Européenne.

Sur l'intervention en cas d'accident :

il a été décidé de distribuer aux populations vivant à proximité d'une centrale française des pastilles d'iode à absorber en cas d'accident grave pour prévenir l'apparition de cancers de la thyroïde,

un intérêt accru a été porté aux plans d'urgence interne (PUI) et d'intervention (PPI) et à leur validation par des exercices.

Sur les normes de radioprotection :

sous l'égide de l'OMS et de la FAO un accord international sur le niveau de contamination des denrées alimentaires entrant dans le commerce international a été conclu,

- la Commission Internationale de Protection Radiologique a précisé ses recommandations relatives aux interventions en cas d'accident en mettant l'accent sur la justification et l'optimisation des interventions.

Sur la sûreté :

dès le mois d'août 1986 l'AIEA a saisi le "Groupe consultatif international pour la sûreté nucléaire" (INSAG) pour analyser l'accident et en tirer des enseignements. Le premier rapport de ce groupe (INSAG 1) a été mis à jour en 1996 (INSAG 7),

- par la suite l'INSAG s'est attaché à formuler et à préciser une doctrine commune au plan international en matière de sûreté, en particulier à travers les documents suivants :

INSAG 3 "Principes fondamentaux de sûreté pour les centrales nucléaires" (1990)

INSAG 4 "Culture de sûreté" (1991)

INSAG 5 "Sûreté de l'énergie d'origine nucléaire" (1993)

INSAG 10 "La défense en profondeur" (1997)

Sur les programmes de recherches :

- recherches sur le devenir des radionucléides déposés dans l'environnement,

- intérêt accru pour l'étude des accidents graves avec fusion du cœur.