L'accident de Tchernobyl
Le Dossier 15 ANS Après

GR21

  mai 2001
Groupe de Réflexion Énergie  
Environnement au 21ème siècle                                                                                                                       

Deuxième partie : les contaminations et les doses  

retour au sommaire

2.1. Les rejets d'éléments radioactifs

Le relâchement dans l'environnement d'éléments radioactifs a été considérable, de l'ordre de 230 millions de Curies (environ 8.7 1018 Bq, donc près de neuf milliards de milliards de becquerels).

Trois grandes catégories de rejets doivent être distinguées :

- les gaz rares (Xe, Kr), (6.5 1018 Bq), relâchés à 100%, mais qui ne se combinant pas chimiquement se diluent dans l'atmosphère et ne peuvent provoquer qu'une irradiation externe assez faible,

-les produits de fission volatils (I, Cs, Te…) relâchés en proportions importantes (30 à 50%), susceptibles de migrer assez loin au gré des vents, de se combiner chimiquement et d'entrer dans les chaînes alimentaires,

-les produits de fission solides et les actinides, relâchés en beaucoup plus faible proportion (3%), qui ont surtout affecté l'environnement proche du réacteur.

Les tableaux 1 et 2 précisent les périodes radioactives et les quantités émises, du 26/4 au 6/5, des principaux radioéléments intéressants, ainsi que ce qu'elles représentent par rapport au stock existant au moment de l'accident.

Tableau 1 : Principaux radioéléments émis Tableau    Tableau2 : Estimation journalière du rejet d'Iode-131

Elément

période

activité

(PBq)*

% relâchés

 

Date de rejet

% du total rejeté

Rejets/jour

(PBq)

Krypton-85

10.7 a

33

100

 

26 Avril

40,0

704

Xénon-133

5.2 j

6500

100

 

27 Avril

11,6

204

Iode-131

8.04 j

1760

50

 

28 Avril

8,5

150

Iode-133

20.8 h

2500

50

 

29 Avril

5,8

102

Césium-134

2.06 a

54

30

 

30 Avril

3,9

69

Césium-137

30.0 a

85

30

 

1er Mai

3,5

62

Tellure 132

3.0 j

150

30

 

2 Mai

5,8

102

Strontium 89

50.5 j

115

3

 

3 Mai

6,1

107

Strontium 90

29.1 a

10

3

 

4 Mai

7,4

130

Ru-103

39 j

3770

3

 

5 Mai

7,4

130

Ru-106

368 j

73

3

       

Pu-239

24 000 a

0.03

3

 

Total

100 %

1 760

* 1 peta Bq = 1015 Bq =27 000 Ci
La comparaison globale de ces rejets avec ceux dus à d'autres grandes pollutions radioactives est délicate, car les proportions d'isotopes, les lieux et durées d'émission diffèrent : par rapport à Windscale Tchernobyl a rejeté 1 500 fois plus de I-131, 21 000 fois plus de Cs-137, 50 000 fois plus de Sr-90. En revanche, les essais nucléaires aériens auraient émis davantage de I-131 (mais dans la stratosphère où a eu lieu sa décroissance radioactive), 12 fois plus de Cs -137, 60 fois plus de Sr-90. Les deux grands complexes militaro-industriels de Hanford (USA) et Mayak (URSS) ont émis eux aussi des quantités de radioactivité beaucoup plus importantes (80 fois ?), mais étalées sur plusieurs dizaines d'années. On conçoit que les conséquences sanitaires n'aient pu être extra ou interpolées de manière fiable.

revenir en haut de la page

 2.2. Les contaminations

Les variations du vent et de la pluviosité ont entraîné une dispersion de la contamination dans toutes les directions, mais surtout vers le nord (rejets du 26), l'ouest (le 27) puis l'est (le 28). Les figures 2 et 3, montrent la dispersion schématique des panaches radioactifs émis les 26 et 27.

 

La figure 4 donne un aperçu de la répartition de la contamination en I-131 en Biélorussie, et en Russie (les données concernant l'Ukraine manquent). Trois zones ont été surtout affectées :

- une zone centrale (Ukraine et Biélorussie) autour du réacteur et de la ville voisine de Pripiat où résidaient les familles des exploitants (50 000 personnes),

- une autre (Biélorussie et Russie) près de la ville de Gomel,

- une dernière en Russie autour de la ville d'Orel, à 500 km de là.

Figure 4 : Contamination par l'iode-131: en Biélorussie et Fédération de Russie

Les figures 5 et 6 illustrent les contaminations en strontium et plutonium, concentrées dans la zone centrale (d'autant plus que l'élément est lourd). Une zone dite d'exclusion, de 30 km de rayon autour du réacteur, a été décidée. Les dépôts ont pu y excéder 1 500 kBq/m2 et atteindre même 3 700 kBq/m² (100Ci/km²). C'est là que se trouve la "forêt rousse". Tout l'hémisphère nord a été affecté, mais l'UNSCEAR ne définit comme "contaminées" que les zones dont l'activité en césium-137 dépasse 1 Ci/km2 (37 kBq/m2), valeur qui conduit à un supplément d'irradiation annuelle d'environ 1 mSv.(cette contamination ira en diminuant dans les années à venir).

Figure 5 :Contamination Sr-90

Figure 6 :Contamination Plutonium


Figure 7 : Contamination Cs-137 Cercles de 30 et 60 km autour de la centrale


Figure 8 : Estimation des activités en Cs-137 déposé sur certains pays d'Europe

La figure 8 et les tableaux suivants (3 et 4), extraits du rapport de l'UNSCEAR illustrent l'étendue (en km²) et l'intensité (en Ci = 3.7 1010 Bq) des contaminations dans l'ensemble de l' Europe.
Tableau 3 : Etendue des surfaces (en km2) contaminées dans l' ex-URSS (selon leur niveau de contamination)

Pays

1 à 5 Ci/km²

5 à 15 Ci/km²

15 à 40 Ci/km²

>40 Ci/km²

Russie

49 800

5 700

2 100

300

Biélorussie

29 900

10 000

4 200

2 200

Ukraine

37 200

3 200

900

600

(URSS)

116 900

18 900

7 200

3 100

Tableau 4 : Etendue des surfaces (en km2) contaminées (1 à 5 Ci/km2) dans divers autres pays :
Suède 12 000   Suisse 1 300

A noter que la France ne figure pas dans ce tableau, seules quelques zones de superficie très limitée ayant atteint des contaminations de 60 kBq/m2 (soit 1,7 Ci/km2). Mais d'autres pays plus contaminés ne figurent pas non plus : Pologne, Allemagne..

Finlande

15 000

Grèce

1 200

Autriche

8 600

Slovénie

300

Norvège

5 200

Italie

300

Bulgarie

4 800

   

revenir en haut de la page 

2.3. Les mouvements de population

Au soir du 26 avril, le niveau d'irradiation à Pripiat, où vivaient les familles des exploitants, n'était pas encore connu ni donc considéré alarmant (il était cependant de l'ordre de 10 mSv/h) Aucune consigne particulière, de confinement par exemple, n'était encore donnée. Les autorités ne prirent conscience de la gravité de la situation que vers 22 h, après l'arrivée d'une délégation venant de Moscou. La décision d'évacuer fut alors prise et durant la nuit des mesures furent adoptées pour disposer le lendemain de 1 200 cars.

Le 27 avril à midi, la population fut avertie par radio et l'évacuation prit effet de 14 à 17h. 40 000 personnes furent ainsi dirigées vers un district ukrainien situé à une cinquantaine de kilomètres plus à l'ouest. Elles y resteront jusqu'en août avant d'être relogées à Kiev.

D'autres populations furent évacuées, mais plus tardivement comme le montre le tableau suivant :

Tableau 5 : Evacuation des populations

Pays

Zone

Date

Nombre d'évacués

Ukraine

Pripiat

15 villages < 10km

Tchernobyl

43 villages < 30 km

8 villages > 30 km

5 villages > 30 km

27 avril

3 mai

5 mai

3 au 7 mai

14 au 31 mai

juin à sept.

~ 50 000

~ 10 000

~ 13 600

~ 14 500

~ 2 500

~ 1 000

Biélorussie

51 villages<30 km

28 villages > 30 km

29 villages > 30 km

2 au 7 mai

3 au 10 juin

août sept.

~ 11 400

~ 6 000

~ 7 300

Féd. de Russie

4 villages

août

186

Ensemble de l'URSS

187 localités

 

~116 000


Au total 116 000 personnes furent évacuées (auxquelles s'ajoutent 60 000 têtes de bétail). Malgré le statut de "zone interdite", quelques personnes retourneront chez elles après la construction du sarcophage. Il s'agit essentiellement de personnes âgées dont le nombre ne dépasse pas le millier.

Par ailleurs, durant l'été 1986, des "relogements" sont intervenus en dehors de la zone d'exclusion de 30 km précitée (~2 800 km2) dans les zones les plus contaminées (d'une superficie de 1 500 km2), touchant 220 000 personnes; ces mouvements sont moins bien documentés.

revenir en haut de la page 

2.4. Les doses reçues par la population évacuée

Dans la zone proche du réacteur, les doses sont essentiellement dues au passage du panache pour les doses à la thyroïde (inhalation d'iode 131 et d'autres iodes à vie courte), et au dépôt dans l'environnement pour ce qui concerne l'irradiation externe.

2.4.1. Doses par exposition externe

Les doses reçues ont été estimées à partir des doses mesurées en divers endroits et des emplois du temps des personnes. L'irradiation directe due au panache a joué un rôle mineur par rapport à l'irradiation due aux dépôts. Une évacuation plus rapide aurait donc diminué beaucoup les doses. Pour la population ukrainienne, la dose efficace moyenne par irradiation externe est estimée à 17 mSv, les valeurs extrêmes allant e efficace moyen de 0.1 à 380. En Biélorussie, la dose moyenne est estimée à 31 mSv et 4% de la population concernée a reçu plus de 100 mSv (les habitants de deux villages ont reçu 300 mSv).

revenir en haut de la page

  2.4.2. Doses par exposition interne

Aux doses précédentes doivent être ajoutées les doses à la thyroïde dues à la fixation de radio isotopes d'iode et de tellure ainsi que l'irradiation due au césium fixé par l'organisme (mais qui s'élimine avec une période de 2à 3 mois). L'inhalation en est responsable pour 75%, le reste provenant de l'absorption de produits lactés.

Le tableau ci-contre (table 22 du rapport de l'UNSCEAR) donne

une estimation de la dose moyenne à la thyroïde reçue par les habitants

des villages évacués de Biélorussie selon leur âge. On constate que

les doses sont d'autant plus fortes que l'enfant est jeune.

Les trois quarts des habitants de Pripiat avaient reçu des tablettes d'iode

les 26 et 27 avril, ainsi que les deux tiers des enfants des zones rurales,

mais leur prise fut différée de plusieurs jours (le 30 avril au mieux, le 4 mai

au pire), alors que celle-ci doit intervenir dans les heures qui suivent pour

être pleinement efficace.

Sur l'ensemble des populations évacuées la dose moyenne à la thyroïde

est estimée à 0,47 Gy.

revenir en haut de la page 

2.5. Les contaminations et les doses dans les zones non evacuees

Dans l'ensemble des territoires de l'ex-URSS les essais nucléaires aériens sont encore responsables d'une contamination de l'ordre de 0.05 à 0.1 Ci/km2 (2 à 4 kBq/m2). L'activité résiduelle du césium-137 due à l'accident de Tchernobyl se situe nettement au-dessus de ce "bruit de fond" et plusieurs niveaux délimités par des seuils ont été définis :

-au dessous de 37 kBq/m2 (1 Ci/km2), les territoires sont réputés "non contaminés".

-au dessus (3% de la superficie de la partie européenne de l'ex-URSS), on a distingué :

- un seuil de 555 kBq/m2 (15 Ci/km2) au dessus duquel le territoire est dit "sous contrôle strict",

- une valeur intermédiaire de 185 kBq/m2 (5 Ci/km2) qui délimite les zones à basse et moyenne contamination.

Les doses reçues ont été évaluées en distinguant la première année, où les iodes et autres éléments à périodes courtes ont joué un grand rôle, et les années suivantes où l'effet principal provient des dépôts de Cs-134 et Cs-137, soit par irradiation externe soit par ingestion de produits contaminés (s'y ajoute aussi du strontium-90), d'une durée de vie dans l'organisme (période biologique) d'environ 3 mois (ce chiffre dépend en réalité de l'âge, du sexe et du poids).

Le tableau 7 ci-dessous indique la distribution de la population dans les trois zones plus ou moins contaminées des trois républiques (plus de 5 millions de personnes sont concernées, mais les 80 000 ayant quitté les zones contaminées en 1986 et 1987 ne figurent pas dans ces statistiques).

Tableau 7 : Nombre d'habitants concernés par la contamination

Contamination

Biélorussie

Russie

Ukraine

Total

1 à 5 Ci/km²

1 543 514

1 634 175

1 188 600

4 366 289

5 à 15 "

239 505

233 626

106 700

579 831

> 15 "

97 595

95474

300

193 369

Total

1 880 614

1 963 275

1 295 600

5 139 489

La distribution des doses est très hétérogène comme le montre le tableau ci-dessous qui indique le nombre de personnes ayant reçu les doses individuelles les plus élevées (60% de la population a reçu moins de 10 mSv).

Tableau 8 : répartition des doses élevées dans la population

Doses (mSv)

Biélorussie

Russie

Ukraine

Total

50 à 100

25 065

14 580

18 200

57 845

100 à 200

5105

2 979

7 700

15 784

>200

790

333

400

1 523

Total

30 960

17 892

26 300

75 152

revenir en haut de la page 

2.6. SITUATION ACTUELLE

Le niveau de contamination résiduel en Cs-137 (que l'on peut traduire en niveau d'irradiation supplémentaire s'ajoutant à l'irradiation naturelle selon la relation 1 Ci/km2 1 mSv/an) définit le statut de différentes zones dans les trois pays :

- au delà de 40 mSv/an : zones évacuées dès les premiers jours et "interdits"

- de 15 à 40 mSv/an : "zones de relogement obligatoire" dans lesquelles l'habitation et les productions agricoles ou industrielles sont interdites.

Ces deux premières zones ont une superficie totale de 4 300 km2 (2 800 dans la zone des 30 km, et 1 500 à l'extérieur.

- de 5 à 15 mSv/an : "zones de relogement volontaire" où les activités agricoles et industrielle existantes ne peuvent être étendues

- de 1 à 5 mSv/an : zones de contrôle radiologique où seules les activités pouvant affecter la santé de la population ou la qualité de l'environnement sont interdites, ainsi que les établissement de soins.

Le niveau général de la contamination a varié très lentement, par migration dans le sol, ruissellement, décroissance radioactive (30% en 15 ans pour le césium et le strontium). On retrouve le césium dans les quinze premiers centimètres du sol, le plutonium dans les cinq premiers. Le strontium, plus mobile, a davantage migré. La réimplantation future de la population et des activités dépendra donc autant d'une éventuelle réévaluation favorable des risques liés aux "faibles doses" et "débits de dose" qu'à la décroissance radioactive.

Divers travaux de décontamination ont été entrepris dans les 10 km entourant la centrale, avec enfouissement des déchets radioactifs. Sur certaines parcelles, le sol contaminé a été retiré ou recouvert de terre non contaminée. D'autres contre-mesures ont été prises (diminution de l'acidité du sol) pour réduire le transfert du césium et des métaux lourds.

Si le césium qui cause à lui seul 90% de l'irradiation reste bien présent dans le sol, par contre il s'y fixe davantage et sa présence diminue très sensiblement dans les productions agricoles, d'un facteur 2 tous les 3 à 4 ans. La figure 9 suivante indique la contamination moyenne mensuelle du lait par le Cs-137 produit dans une ferme collective ukrainienne s'étendant sur une surface de 3 500 ha contaminés en moyenne à 111 kBq/m2. Les nomes adoptées en 1991 et 1997 sont indiquées sur la figure.

La plus grande partie des productions agricoles d'Ukraine satisfont aux normes suivantes :
- lait < 100Bq/l (370 admis jusqu'en 1991)
- viande < 200 Bq/l
- pommes de terre, pain <20 Bq/kg

revenir en haut de la page

************

retour au sommaire