L'huma/Economie d'énergie
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Journal l'HUMANITE

23 Juin 2000 - POLITIQUE

ECONOMIE. ENERGIE. Un entretien avec le PDG de d'EDF.

François Roussely : " Nous ne pourrons nous passer du nucléaire. "

EDF vient de décider de prendre part au capital du fournisseur de services Dalkia. · quoi correspond cette décision, quelle est votre stratégie ?

François Roussely. Il s'agit de s'adapter au nouveau marché concurrentiel qui se présente à EDF : à côté de la fourniture d'électricité nous voulons aussi développer une activité de services. Ce sont les mêmes raisons qui nous ont conduit l'an dernier à prendre une participation dans Clemessy. Aujourd'hui les clients éligibles ont besoin de solutions énergétiques complètes, et demandent des fournitures quelquefois externalisées qui portent globalement sur la production, les services et la maintenance. C'est donc une façon, pour EDF, d'accroître sa capacité d'offre. Avec les nouveaux seuils d'éligibilité, où 28 % de notre chiffre d'affaire va être dans la concurrence, plusieurs milliers de sites vont avoir besoin de ce type de prestations. Nous devons donc multiplier notre capacité d'offre en la matière. Un autre élément fait l'intérêt de notre alliance dans les services, grâce à cette alliance il y a une vraie complémentarité entre les sociétés de services et les producteurs d'électricité. Grâce à cette acquisition, nous allons devenir ensemble l'un des leaders européens du multiservices dans le domaine énergétique. En outre, la réussite de cette opération nous permet d'honorer notre promesse sociale au personnel de Clemessy.

Avec l'adaptation de la loi française à la directive européenne, n'y a-t-il pas un mouvement général qui entraîne la mise en cause du service public au profit d'une logique financière...

François Roussely. Non je crois au contraire qu'il y a adaptation du service public. Même si notre défi majeur est de concilier cinquante années de monopole de l'électricité en France et une ouverture internationale qui nous place dans un univers de concurrence dans le domaine de l'énergie. Mais ce sont nos clients éligibles qui nous ont obligé à changer, plus que les lois. Aujourd'hui, tous nos grands clients sont européens. Leur souci est de se recentrer sur leur métier. Et les problèmes d'énergie sont souvent en amont pour eux. Ils veulent donc l'organisation la plus efficace en matière d'énergie. Se doter de services qui répondent à ces attentes, c'est la meilleure réponse pour garantir la pérennité du service public. Si nous ne le faisions pas, ils choisiraient un autre producteur d'énergie. Nos concurrents allemands, anglais, italiens ou espagnols ont tous une gamme complète de services. Notre défi est de regarder l'Europe, non de manière défensive, mais comme un marché domestique où nous allons apporter nos valeurs. Dans le secteur social par exemple, mais pas uniquement. Le temps de coupure à Londres est plus long qu'à Paris, grâce à notre excellence technique. Nous avons des choses à apporter à nos collègues britanniques, et en particulier à notre filiale London Electricity. Mais quand on étudie leur politique commerciale ou leur compétence marketing, on remarque qu'ils sont plus imaginatifs que nous à certains égards. Je voudrais convaincre chacun qu'il ne doit pas redouter cette ouverture. Il faut avoir confiance en l'entreprise EDF, c'est-à-dire en la valeur des agents, dans la recherche et le développement, dans la qualité des actifs industriels pour aborder cette nouvelle phase de notre histoire en pensant qu'on sera encore demain une des premières entreprises européennes.

Pour y parvenir, vous constituez des filiales à l'étranger. N'êtes-vous pas en train d'y faire ce que vous ne pouvez pas faire en France, et ne se dirige-t-on pas, par là même, vers la logique financière que nous évoquions ?

François Roussely. On peut effectivement se demander en quoi l'acquisition d'une filiale hors de nos frontières distingue EDF d'un groupe privé. C'est une question qui nous a fait réfléchir. Dans toute acquisition d'une filiale, nous avons l'ambition d'identifier les valeurs communes qui sont celles de notre entreprise. Il faut concevoir l'expansion du groupe EDF non comme une dilution ces valeurs, mais comme un moyen de leur diffusion. Je pense à une approche commune en terme de formation, d'aide aux plus démunis, dans l'excellence technique ou le respect de l'environnement. Nous allons chercher à quantifier cette approche. Par exemple, EDF consacre 10 % de sa masse salariale à la formation en France. Il faut fixer un objectif pour la formation dans nos filiales à l'étranger. Avant 2005 tous nos établissements devront être certifiés par la norme environnementale 14001, c'est-à-dire respecteront toutes les normes en la matière. Je voudrais que le groupe EDF s'identifie à un groupe qui, dans quelque pays que ce soit respecte l'environnement. Je pourrais dire la même chose pour les clients les plus démunis. Aujourd'hui, la London Electricity travaille avec EDF sur les expériences menées en Seine-Saint-Denis et d'autres départements pour donner un contenu plus actif au droit à l'énergie désormais reconnu par la loi. Ce droit à l'énergie, il faut que nous le diffusions comme un des signes de reconnaissance des filiales EDF dans le monde.

Vos concurrents ne vont-ils pas vous attaquer sur le fait que vous pouvez acheter à l'étranger mais que vous restez protégé en France ?

François Roussely. Pour EDF, l'ouverture du capital n'est pas d'actualité, et ce n'est pas nécessaire aujourd'hui au plan financier. Certes EDF peut prendre des participations hors de France. Ceci n'est pas en opposition à ce que dit la directive européenne. La loi de transposition de la directive a été votée, elle permet à des clients éligibles, à partir d'un certain seuil de consommation d'acheter leur électricité auprès du fournisseur de leur choix. Le seuil a été fixé à 16 GW. Probablement faudra-t-il aller rapidement jusqu'à 9 GWH comme la plupart de nos concurrents. Il faudra en débattre. Nous sommes donc en conformité avec la directive. Nous avons une forme de capitalisme public qui s'est bien développé en France. Personne ne peut dire que France Télécom, EDF ou Gaz de France ne sont pas une réussite. Il faut pourtant répondre aux Européens sur la dissymétrie constatée. Nous travaillons en ce moment à des réponses pour que la concurrence joue de façon équilibrée. Ainsi des contrats de substitution peuvent être mis en place à cet égard. Si nous produisons 100 MW dans un pays, nous pouvons, sur le territoire français, mettre ces mêmes 100 MW à la disposition de l'entreprise avec laquelle nous faisons l'échange. Car, pour nos concurrents l'une des difficultés d'accès à nos clients est de ne pas avoir de production locale. Sans elle, il est plus difficile d'avoir la même qualité de services.

L'Allemagne a annoncé qu'elle va abandonner le nucléaire, comment réagissez-vous, et plus largement, quels vont être les choix énergétiques d'EDF à long terme ?

François Roussely. Il ne m'appartient pas de commenter la décision du gouvernement allemand qui correspond à la situation propre du pays. Mais en Europe, je peux dire que deux questions majeures se posent aujourd'hui : la sécurité des approvisionnements, et le respect de l'environnement. Dans le respect des accords de Kyoto, il faudra que chacun mesure les conséquences de ses choix industriels. D'ici 2008 les Européens se sont engagés à ne pas produire plus de gaz à effet de serre qu'en 1991. Cette dimension sera de plus en plus importante à l'avenir. Pour la France, il faut savoir que nous disposons de peu de ressources naturelles. Nous devons progressivement diversifier notre approche énergétique. C'est ce que le premier ministre a proposé avec les énergies renouvelables. · la Réunion ou à la Guadeloupe, elles permettent de garantir de l'énergie à des maisons isolées. Evidemment pour l'hexagone les énergies renouvelables ne sont qu'un complément de production. Les productions de bases devraient perdurer. L'hydraulique, qui représente 15 % de la production française aujourd'hui, est une énergie entièrement renouvelable qui fait de la France le premier producteur d'ENR en Europe. Quant au nucléaire, le choix du renouvellement des centrales ne se posera pas avant 2020-2030. Quel sera l'équilibre énergétique de l'Europe dans ces années-là ? Il faudra en débattre, les options sont ouvertes. La question des déchets nucléaires sera à prendre en compte. Elle va nécessiter d'investir d'avantage dans la recherche. Mais ma conviction personnelle n'en est pas moins que nous ne pourrons nous passer de nucléaire. Je ne vois pas ce qui pourrait le remplacer, même si nous pouvons limiter son utilisation - il représente aujourd'hui 80 % de la production française. Il faut savoir que d'ici 2020-2030, les autres ressources, fossiles, devraient devenir soit rares soit chères. Cela étant, si certains ont d'autres solutions raisonnables, qu'ils les proposent.

On parle de la montée en puissance de la production d'électricité à partir du gaz, quelle est votre approche, et quels seront, à ce propos, vos relations avec GDF à l'avenir ?

François Roussely. La production d'électricité à partir de gaz peut être un secteur de diversification à l'avenir. Le niveau de compétitivité de cette production pourra, à l'avenir être proche de celle du nucléaire. La production d'électricité à partir du gaz est plus respectueuse de l'environnement que le charbon et le fioul. Si ces conditions demeurent, notre parc pourrait se développer et nous achèterions naturellement ce gaz à GDF. Cela va dans le sens d'une collaboration renforcée avec l'entreprise qui est la plus proche de nous, puisque 33 000 membres du personnel des deux entreprises sont communs. Dans cette perspective, nous sommes en phase avec ce qui est entrepris en Pologne et peut-être demain - le Président Bouteflika était à Paris il y a quelques jours et nous l'avons évoqué - en Algérie. J'abordais récemment avec Pierre Gadonneix le fait que nous n'aurions que des avantages à investir ensemble en Algérie, à la fois pour la sécurisation des approvisionnements de GDF et pour produire de l'électricité. Si on veut développer une politique européenne de l'énergie, on comprend que EDF et GDF auront un rôle commun et important à jouer.

Au sein de l'entreprise, des revendications s'expriment notamment en matière de politique salariale : que pouvez-vous nous en dire ?

François Roussely. La cohésion sociale est exceptionnelle à EDF. Cela ne veut pas dire unanimiste, mais il y a toujours eu adhésion du personnel aux grands choix de l'entreprise. Les changements auxquels nous devons nous adapter exigent une grande qualité de dialogue. Dans cet esprit, nous avons proposé un accord sur les 35 heures qui a été signé par tous les syndicats. Par ailleurs chacun voit bien que l'entreprise est assez prospère. Sur cette base les attentes des salariés en terme de salaire sont légitimes. Elles le sont d'autant plus que l'activité économique est dynamique et que le chômage se réduit. Nous devons faire de nouvelles propositions au personnel durant l'été. Là encore, je souhaiterais que l'on innove, en fixant l'évolution des salaires, non pas sur des indices économiques globaux, mais sur la réussite de l'entreprise elle-même, en les ajustant en quelque sorte sur nos propres résultats.

Entretien réalisé par

David Bornstein

et Lin Guillou