L'humanité/Sortir du nucléaire?
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Journal l'HUMANITE

06 Juillet 2000 - POLITIQUE

La France peut-elle sortir du nucléaire ?

Energie. Voynet, Pierret, les Verts et EDF débattent à l'Assemblée nationale

Le débat monte après le choix allemand de démanteler ses centrales.

Après l'annonce du gouvernement allemand de démanteler ses centrales au cours des trente prochaines années, le débat sur le nucléaire français est en train de prendre de l'ampleur. Les Verts sont en tout cas montés au créneau, hier, en organisant un colloque à l'Assemblée nationale, où se sont confrontés Dominique Voynet, ministre de l'Environnement, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'Industrie et François Roussely, PDG d'Electricité de France. Objectif des Verts : presser le gouvernement de redéfinir ses choix énergétiques pour " sortir du nucléaire ". " La question nucléaire sera au centre des discussions à l'horizon des élections nationales de 2000 ", a ainsi annoncé Denis Baupin, porte-parole du parti. Il s'agissait aussi pour le groupe écologiste de prouver que des alternatives sont possibles.

" Peut-on abandonner le nucléaire sachant qu'il représente 75 % de la production d'électricité française ? ", demande Maryse Arditi, porte parole du parti écologiste. Les derniers résultats du bureau d'étude des Verts répond par l'affirmative. " S'il existe une volonté politique pour le faire, comme en Allemagne, trois axes pourraient permettre, d'ici 2025, une sortie complète du nucléaire ", précise sa porte-parole. Une forte relance de la maîtrise de l'énergie et notamment de l'électricité. Ensuite, une utilisation renforcée de la production d'électricité à partir de gaz (cogénération). Enfin, un programme massif de recours aux énergies renouvelables, notamment éolien. Pour Maryse Arditi, " chacun de ces trois piliers peut se substituer au tiers de la production actuelle d'électricité nucléaire. Au total, un abandon complet du nucléaire est donc possible ".

Sur le volet social du dossier, particulièrement sensible, Denis Baupin a, pour sa part, insisté sur sa volonté de composer. " Une confrontation des Verts avec les experts d'EDF et avec ceux des syndicats, notamment CGT et CFDT d'EDF, à ce sujet est prévue. " Par ailleurs, il a relativisé la portée sociale d'un tel choix : " Une sortie du nucléaire ne serait pas aussi brutale que l'abandon de la sidérurgie. Elle serait progressive, et surtout la gestion des sous-produits du nucléaire - déchets, démantèlement - emploiera des dizaines de milliers de personnes pendant de nombreuses années. "

Pour les écologistes, reste donc à convaincre. Or, pour l'instant, le débat semble loin de faire l'unanimité. Si François Roussely, PDG d'Electricité de France, admet ainsi que la vraie question est bien de savoir " par quoi remplacer le nucléaire ", il semble plus que sceptique sur l'idée de totalement le remplacer, à terme. " Pourra-t-on exploiter un jour le potentiel de production éolienne français estimé - généreusement - à 150 milliards de MWH sur 350 consommés en France ? Semer 30 000 éoliennes dans nos paysages et saturer nos horizons avec 45 000 éoliennes serait-il accepté par nos concitoyens ? "

Par ailleurs, soulignait l'électricien, " en admettant que les économies d'énergie, la suppression des exportations et le recours aux énergies renouvelables permettent de renoncer à la moitié de la production électronucléaire, il faudrait alors produire 180 milliards de KWH à partir de cycles combinés de gaz, c'est-à-dire lâcher dans l'atmosphère 77 millions de tonnes de CO2 supplémentaires chaque année. Est-ce raisonnable ? Et si tout le monde se rue sur le gaz, ne court-on pas au devant des mêmes déconvenues qu'au temps du tout pétrole ? ". Pour Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'Industrie, le gaz, " qui fait partie des solutions ", présente en outre un second inconvénient majeur, celui du coût. " Ce serait une erreur économique lourde que de miser trop fortement sur le gaz. En un an, les prix du pétrole et du gaz ont triplé. "

L'idée que la production électrique française doit être diversifiée, notamment au profit des énergies renouvelables, est en tout cas acquis pour le gouvernement et l'opérateur EDF. Le débat porte donc principalement sur la part de nucléaire substituable. " Le gouvernement souhaite qu'il y ait un rééquilibrage. Mais la production nucléaire doit demeurer majoritaire ", rappelle en ce sens Christian Pierret. Reste que, plus fondamentalement, la question du nucléaire en France renvoie à des choix " de société et même des choix philosophiques ". Et à ce niveau, en revanche, le clivage entre ceux qui, par principe, souhaitent tout simplement " sortir du nucléaire " et les autres semble indépassable. Une des raisons qui amène sans doute le ministre à demander de " dépasser l'alternative du tout ou rien " et engage François Roussely à vouloir " dépassionner le débat ". Pour le PDG : " Il conviendrait honnêtement de se reposer la question : pourquoi veut-on en finir avec le nucléaire ? Précaution contre un risque de guerre ? Autant vouloir supprimer l'aviation civile pour éviter les avions de guerre. Précaution contre un risque possible, mais faible, d'accident ? Pour cela, on acceptera de causer une catastrophe certaine par la dégradation du climat ? "

Reste que pour Dominique Voynet, le débat a un temps de retard sur les faits. " Si on entend toujours le discours convenu, on prévoit en fait discrètement la reconversion. La sortie du nucléaire n'est-elle pas maintenant une aspiration plus ou moins explicite des électriciens des pays développés ? ", demande ainsi la ministre. " Même dans le sanctuaire français, plus aucune commande de centrale n'a été enregistrée depuis 1991 ", rappelle-t-elle avec une pointe d'ironie.

DAVID BORNSTEIN